MORT A DENISE
Mauricette regardait depuis le seuil de la porte d’entrée de sa maison le logement de sa voisine Huguette Hautroux. Cette personne chez qui elle était allé prendre le thé quelquefois et qui
semblait vivre recluse dans son modeste deux pièces, n’avait jusque là jamais éveillé son intérêt. Pourtant, aujourd’hui, alors que Mauricette ne sortait qu’exceptionnellement, son regard avait
été attiré par cette puissante limousine (une Mulsane, mais elle ne le savait pas), qui s’arrêtait devant la maison d’en face. L’homme, qu’elle avait entrevu, paraissait âgé, replet, buriné,
fatigué, mais elle avait senti à sa démarche une énergie et une volonté sans faille. Elle l’aurait juré, son visage ne lui était pas inconnu. Mais ou avait elle bien pu le voir, et que faisait
cet homme chez Huguette.
Elle vit la puissante auto repartir, et en apercevant la silhouette d’un homme à l’arrière, elle crut entrevoir celle de Jules, le frère de Gaston, Ca n’était pas possible, car celui ci, a son
grand dam, car elle en était toujours amoureuse, menait la grande vie dans quelque palace de la côte, aux dernières nouvelles.
Elle s’empressa d’aller réveiller Martine qui ronflait toujours bruyamment dans la cave. Elle l’a bouscula sans ménagement. Les relations entre les deux amies suivait un cours fluctuant. Parfois
elle se consolaient de leur triste sort et des mésaventures de leur bien aimé commun. Parfois les nerfs lâchaient et elles s’empoignaient comme deux lutteurs de foire, avant de se refermer
chacune de leur coté, culpabilisées, boudeuses. La brouille durait parfois plusieurs jours, mais les elles finissaient par pardonner et se retrouver dans les bras l’une de l’autre. Conscientes de
cette situation qui n’avaient que trop durer, elles avaient cent fois échafaudé des plans tous plus abracadabrants les uns que les autres pour se sortir de ce pétrin. Sans solution a ce jour.
Mais apparamment, les choses avaient l’air de bouger dehors, et il ne serait pas dit qu’elles ne profiteraient pas de cette aubaine.
La voiture des deux flics au bout de la rue était toujours à la même place, mais le gros dégueulasse et le petit vieux a moitié crevé avaient du partir boire un coup et casser une graine au «
Pied de porc a la sainte Scolasse » estaminet plutôt renommé chez la gente poulardière.
C’était le moment ou jamais.
***
Sur un vaporreto luxueux, une jeune femme blonde ouvrait toutes grandes ses mirettes a la vue de tant de beauté et de richesses accumulées. Elle, qui, il y a peu, ne connaissait pas grand chose
de la vie et du monde, passant d’un homme à l’autre au hasard de la satisfaction de ces êtres parfois primitifs et sensibles à la beauté plastique d’icelle, était chaque jour un peu plus
émerveillée.
Depuis le début de ce voyage, qui s’apparentait de plus en plus à un voyage de noces, elle découvrait des villes, des paysages, des émotions que son cerveau ouvrier n’avait jamais imaginé.
Elle était a Venise, et son cher et tendre l’avait amenée dans la cité des Doges et des amoureux, dans le seul but de la demander en mariage. C’était couru, et elle répétait déjà sa réponse à
cette demande qui n’allait pas tarder.
Pour l’instant, le bateau rapide, traversait la lagune depuis l’aéroport qui desservait Venise en l'honneur de cet ancien et célèbre citoyen vénitien. L'aéroport Venise-Marco Polo est situé au
bord de la lagune, mais sur le continent, de sorte que les arrivants doivent emprunter, soit un bus, soit un bateau-taxi ou un bateau-bus pour se rendre dans la ville.
Elle avait entendu son compagnon demande au pilote de les conduire à l’hôtel Danieli.
"Bernie, l’hôtel Danieli, ce n’est pas celui dont on parle dans le film, « ma femme s’appelle Maurice » ?"
"Muguette, mon chou, on en parle aussi dans le chef d’oeuvre de Fellini, Casanova, et dans « the tourist » dernièrement."
"Euh oui, avec Jean Dujardin ?"
"Euh, non avec Johnny Depp mais c’est pas grave, mon chou, on arrive"
***
PUBLI-REPORTAGE
Il faut bien vivre…
L'hôtel Danieli à Venise est plus qu'un hôtel, c'est une institution, un lieu où il faut avoir été lorsque l'on fait partie de la haute société, un hôtel également
synonyme de romantisme par l'empreinte qu'y laissèrent Alfred de Musset et George Sand.
Bien avant de s'appeler l'hôtel Danieli, ce palais s'appelait le Palazzo Dandolo, du nom de l'une des plus illustres familles de Doges de la République de Venise,
dont le courageux Enrico Dandolo qui ramena les célèbres chevaux de la Basilique Saint Marc depuis Constantinople, qu'il avait vaincue.
C'est au XVe siècle que fut construit en style Vénéto-Gothique le Palazzo Dandolo qui abrite aujourd'hui l'hôtel Danieli. Le palais passa ensuite de famille noble à
famille noble, apporté en dot, ou racheté.
Les Gritti en firent l'acquisition en 1536 puis s'y succédèrent les Mocenigo et enfin les Bernardo et les Nani.
Après la chute de la République, Giuseppe Da Niel, connu sous le nom de Danieli, racheta le palais et le transforma en hôtel en 1822.
A cette époque, l'hôtel Danieli s'appelait “l'Albergo Reale”, il devint ensuite le Royal Danieli, avant de s'appeler finalement et simplement l'hôtel
Danieli.
Pour faire face au succès de l'hôtel on construisit plus tard deux autres bâtiments, de part et d'autre du Palazzo du XVe siècle. Les trois bâtiments communiquent
d'ailleurs entre eux.
Cet hôtel de grand luxe, le premier hôtel sur la Riva degli Schiavoni lorsque l'on vient du Palais des Doges, ce qui augmente encore son prestige, offre une vue
unique sur le bassin de Saint Marc et l'église de San Giorgio Maggiore, une vue admirablement décrite par George Sand lorsqu'elle y séjournait en compagnie d'Alfred de Musset :
« Le soleil était descendu derrière les monts Vicentins. De grandes nuées violettes traversaient le ciel au-dessus de Venise.
La tour de Saint-Marc, les coupoles de sainte-Marie (Santa Maria della Salute), et cette pépinière de flèches et de minarets qui s'élèvent de tous les points de la
ville se dessinaient en aiguilles noires sur le ton étincelant de l'horizon.
Le ciel arrivait, par une admirable dégradation de nuances, du rouge cerise au bleu de smalt ; et l'eau, calme et limpide comme une glace, recevait exactement le
reflet de cette immense irisation.
Jamais je n'avais vu Venise si belle et si féerique.
Cette noire silhouette, jetée entre le ciel et l'eau ardente comme dans une mer de feu, était alors une de ces sublimes aberrations d'architecture que le poète de
l'Apocalypse a dû voir flotter sur les grèves de Patmos quand il rêvait sa Jérusalem nouvelle, et qu'il la comparait à une belle épousée de la veille.
Peu à peu les couleurs s'obscurcirent, lés contours devinrent plus massifs, les profondeurs plus mystérieuses.
Venise prit l'aspect d'une flotte immense, puis d'un bois de hauts cyprès où les canaux s'enfonçaient comme de grands chemins de sable argenté.
Ce sont là les instants où j'aime à regarder au loin. »
George Sand - Lettres d'un voyageur
Et George Sand admira avec bien d'autres, peintres, écrivains, musiciens, Princes et Reines…, cette vue magnifique sur le bassin de Saint Marc depuis les fenêtres ou
encore depuis la fameuse terrasse de l'hôtel Danieli.
***
Le générique de RMC infos retentit dans l’hôtel où s’était réfugié Marcel Cassoulet.
Il était sept heures et demi, et la voix de Jean-Jacques Bourdin, revenu depuis quelques jours était plus tonitruante et affable que jamais.
"comme tous les matins, nous donnons la parole à nos chers z‘auditeurs".
Marcel se dit in petto, que son plan, plutôt mal en point en ce moment par la fuite de cet enfoiré de Gaston, pourrait peut être renaître de ses cendres. Il avait une idée, et celle-là, l’autre
usurpateur n’allait pas s’en remettre.
***
La maison de Germaine Cassoulet était grande, mais pas assez pour que Benjamin, ne finisse par la rattraper et la bousculer sur un sofa.
C’est a ce moment précis, où il allait enfin arriver à conclure, que la radio RMC qui était allumée en permanence laissa échapper une intervention pour le moins surprenante.
'Allô, c’est toi vieux grigou, usurpateur, c’est Marcel, et je vais tout révéler"
Germaine, repoussa brutalement son jeune amant, traversa la maison et s’écria en ouvrant la porte , « je vais à RMC ».
***
Dans la cuisine d’Huguette, Gaston et Chico continuaient à se faire face, comme si le temps s’était figé.
« Oui, mon fils, c’est bien moi ton père, je suis venu te revoir une dernière fois. Mais que t’est il arrivé ? »